THÉRAPIE COLLECTIVE À WASHINGTON, par François Leclerc

Billet invité.

« Il est exact qu’il règne ici une certaine anxiété à propos de l’état de l’économie mondiale », a déclaré le chancelier de l’échiquier George Osborne en maniant la litote. À Washington, où le gratin de la finance s’est retrouvé, les raisons d’inquiétude n’ont pas manqué, selon une routine désormais installée : faible croissance et déflation, accès soudains de volatilité financière, guerre des monnaies larvées… Et rien ne va en s’arrangeant.

De mauvaises nouvelles proviennent de Chine, où la croissance est maintenue au prix d’un renforcement de la politique d’assouplissement monétaire et de la distribution à grande échelle du crédit. De quoi alimenter ce trouble, en raison des répercussions mondiales d’une baisse de tonus de la Chine si elle intervenait. La croissance affichée est tirée par les investissements des grands groupes industriels, déjà lourdement endettés et en surcapacité de production. La dette des gouvernements locaux et la montée des créances douteuses contribuent à fragiliser l’ensemble du système financier.

Le tableau de l’économie américaine dressé par la Fed n’a de son côté rien de très encourageant quand on le regarde de plus près, alors qu’est redoutée pour ses conséquences difficiles à cerner, la sortie éventuelle du Royaume-Uni de l’Union européenne, sans préjudice des autres crises que cette dernière cumule. La croissance américaine est qualifiée dans le dernier « livre beige » de la Fed (son rapport) de « modeste et modérée ». La hausse de la consommation enregistrée est notamment attribuée aux promotions et au crédit, tandis que la baisse du prix de l’essence et du fioul profite plutôt à l’épargne.

On comprend dans ces conditions pourquoi l’option de l’Helicopter Money alimente les conversations de salon à Washington, à lire des comptes-rendus de presse, les mesures de stimulation monétaire déjà engagées n’ayant pas produit les effets escomptés. Y compris après le franchissement de la barrière des taux négatifs. Il n’y a pas d’autre raison à l’apparition d’une nouvelle transgression : l’injection directe de liquidités dans l’économie par les banques de dernier ressort que sont les banques centrales, via les entreprises ou les particuliers. Il n’est en effet pas illogique de leur demander d’employer des moyens qui peuvent aussi être qualifié de dernier ressort. Que ce ne soit pas pour demain matin n’interdit pas que cela finisse ainsi… D’ailleurs, prenant le contre-pied du président de la Bundesbank Jens Weidmann, un analyste de la Deutsche Bank considère que « les traités [européens] laissent plus de flexibilité qu’on peut le penser en première approche » à leur sujet, contrairement aux achats d’obligations perpétuelles ou à la dépréciation d’obligations inscrites au bilan…

Ceux qui sont favorables à cette mesure rappellent que les précédentes ont déjà été dénoncées comme hautement inflationnistes, sans concrétisation. D’autres font valoir qu’un peu de sur-inflation allégerait le poids de la dette qui surplombe toutes les têtes, un assainissement dans ce domaine étant le préalable à toute relance significative. Tous pointent du doigt le Japon, où l’inefficacité de la panoplie des mesures non conventionnelles de la Banque du Japon est éclatante. Le pays ne parvient toujours pas à sortir du « piège de la liquidité » et le gouvernement a relancé l’inflation, la production et la consommation. À  se demander s’il ne représente pas le modèle de ce qui attend l’Europe.

L’option de l’Helicopter Money a un peu trop l’apparence d’un miracle dont tout serait attendu, d’une juste revanche qui serait prise sur les banques et la finance. Une chose peut cependant être entendue : qu’elle vienne sur le tapis reflète la compréhension confuse que ce ne sont pas avec les vieilles recettes qu’il sera possible de sortir l’économie de son marasme. Ce n’est qu’un début… En se plaçant sur le même terrain que George Osborne, Christine Lagarde a commenté le dernier G20 finances et relevé qu’il n’a pas connu « le même niveau d’anxiété » que le précédent, comparant la réunion à une « thérapie collective ». Est-ce vraiment rassurant ?